Plaintes de Thétis


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Dugas Montbel

 Dacier (1882)

« O mon fils, lui répond Thétis en pleurant, pourquoi t'ai-je nourri, après t'avoir enfanté  dans le malheur ? Plût aux dieux que, près de tes navires, tu fusses exempt de chagrins et de larmes ! Ta vie sera de peu d'instants, tu ne vieilliras point ; et, malgré tes destinées rapides, tu es encore le plus malheureux des hommes. Oui, je te donnai le jour, au sein de mes palais, sous de cruels auspices : mais j'irai dans le brillant Olympe, j'implorerai Jupiter, qui se plaît à lancer la foudre, je tâcherai de le fléchir. Toi, mon fils, tranquille près de tes vaisseaux rapides, garde ton courroux contre les Grecs, cesse entièrement de combattre. Hier, Jupiter se rendit aux extrémités de l'Océan, chez les sages Ethiopiens, afin de participer à leurs sacrifices ; et tous les autres dieux l'ont suivi : le douzième jour il reviendra dans l'Olympe ; alors moi-même j'irai clans son palais d'airain, j'embrasserai ses genoux, et j'espère le persuader. »  

 

«Ah ! mon cher fils, lui répondit Thétis, le visage baigné de larmes; pourquoi t'ai-je élevé, après t'avoir mis au monde avec une si déplorable destinée ! Plût an ciel que tu fusses au moins en repos dans tes vaisseaux sans aucun chagrin, puisque tu a. si peu dé temps à jouir de la lumière! Mais ta vie doit être si courte, et il faut encore qu'elle soit malheureuse ! Hélas ! en te donnant la naissance, je te livrai à un cruel destin! Mais j'irai au sommet de l'Olympe couvert de neige, et je dirai au dieu qui lance le tonnerre tout ce que je croirai le plus propre à le toucher. Cependant, mon fils, demeure près de tes vaisseaux, et donne aux Grecs des marques de ton ressentiment en l'abstenant de combattre. Car Jupiter est allé hier aux extrémités de l'Océan, chez les sages Ethiopiens, qui l'ont prié à un festin ; tous les dieux l'ont suivi, et il ne retournera au ciel que le douzième jour : je ne manquerai pas de me rendre aussitôt dans son palais, j'embrasserai ses genoux, et j'espère qu'il ne rejettera pas mes prières. »  

 

 Leconte de Lisle

 Bitaubé

 Et Thétis, répandant des larmes, lui répondit :

    -Hélas ! mon enfant, pourquoi t'ai-je enfanté et nourri pour une destinée mauvaise ! Oh ! que n'es-tu resté dans tes nefs, calme et sans larmes du moins, puisque tu ne dois vivre que peu de jours ! Mais te voici très malheureux et devant mourir très vite, parce que je t'ai enfanté dans mes demeures pour une destinée mauvaise ! Cependant, j'irai dans l'Olympos neigeux, et je parlerai à Zeus qui se réjouit de la foudre, et peut-être m'écoutera-t-il. Pour toi, assis dans tes nefs rapides, reste irrité contre les Akhaiens et abstiens-toi du combat. Zeus est allé hier du côté de l'Okéanos, à un festin que lui ont donné les Aithiopiens irréprochables, et tous les Dieux l'ont suivi. Le douzième jour il reviendra dans l'Olympos. Alors j'irai dans la demeure d'airain de Zeus et je presserai ses genoux, et je pense qu'il en sera touché.

    

Thétis verse des pleurs.

- O mon fils, répond-elle, pourquoi t’ai-je élevé après t’avoir mis au jour par une destinée fatale ? Plût au ciel que sur ce rivage tu n’eusses point de larmes à répandre, et que tu fusses exempt d’infortune, puisque ta carrière n’est pas longue, et qu’elle est réduite à si peu de jours ! Maintenant ta vie est à la fois courte et la plus malheureuse : c’est par une destinée fatale que je te donnai la naissance. Mais je vais sur les sommets brillans de l’Olympe me plaindre de cette insulte au dieu qui lance le tonnerre : peut-être voudra-t-il m’écouter. Toi cependant demeure auprès de tes vaisseaux, fais sentir ton courroux aux Grecs, et disparais des combats. Hier, suivi de tous les dieux, Jupiter se rendit aux extrémités de l’Océan, chez les habitans vertueux de l’Ethiopie, pour  assister à leurs fêtes. Le douzième jour il remontera dans l’Olympe, et alors j’entre dans son palais éternel, j’embrasse ses genoux, et je me flatte de le persuader.

     

Version par Bignan (1830)

Version par  Barbier (1886)

 « Hélas! répond Thétis, les veux baignés de larmes,

 Pourquoi t'ai-je enfanté, nourri dans les alarmes?

 Que ne peux-tu, tranquille auprès de tes vaisseaux,

 Vivre sans cesse exempt de chagrins et de maux !

 Mon fils! bien peu d'instants composeront ta vie,

 Qui cependant languit, aux douleurs asservie ;

 Car jamais nul mortel n'aura compté des jours

 Pleins de tant d'infortune et si prompts dans leur cours.

 Mais, si pour le malheur mes palais t'ont vu naître,

 Vers l'Olympe neigeux je m'élance, et peut-être

 Du Dieu qui lait gronder son tonnerre vainqueur,

 Ma plaintive prière attendrira le cœur.

 Pour toi, contre les Grecs gardant ta juste rage,

 Sur ta rapide flotte enchaîne ton courage.

 Hier, avec les Dieux, le roi de l'univers

 A voulu visiter, jusqu'aux bornes des mers,

 La sage Ethiopie, où la troupe éternelle

 Savoure des banquets la pompe solennelle.

 Quand le douzième jour dans son palais d'airain

 Aura vu remonter le maître souverain,

 Je m'y rendrai moi-même, et mon amour espère,

 En tombant a ses pieds, fléchir le cœur d'un père. »

 

 

  « Hélas ! je t'ai conçu, nourri dans le malheur!

 Lui répondit Thétis, les yeux baignés de larmes :

 Plût au Ciel qu'aujourd'hui, loin des sombres alarmes,

 Tu pusses vivre en paix et couler d'heureux jours !

 Les tiens, tu l'as bien dit, mon fils, seront trop courts.

 Faut-il, quand elle doit sitôt t'être ravie,

 Faut-il voir le chagrin empoisonner ta vie ?

 Je t'ai donc enfanté sous un astre cruel !

 Mais je veux m'élancer jusqu'aux sommets du ciel

 Et déposer aux pieds du maître des tonnerres,

 Du puissant Jupiter, tes plaintes, mes prières.

 Toi, reste dans ta tente, et contre les Troyens

 Ne livre aucun combat... — Chez les Ethiopiens,

 Peuple chéri du ciel, au cœur juste et candide,

 Jupiter est parti pour un festin splendide :

 Tous les Dieux l'ont suivi; mais, le douzième jour,

 Dans le sublime Olympe il sera de retour :

 J'irai, je le promets, implorer sa clémence,

 Embrasser ses genoux... et j'ai bonne espérance. »

 

Lagrandville (1871)

Meunier (1943)

Thétis lui répond en pleurant : « Hélas! mon fils, fallait-il te donner le jour et te voir croître, pour que tu sois en butte à tant d'afflictions ? Je voudrais bien que tu pusses, sans disgrâces et sans traverses, passer le peu de temps que tu dois vivre : car encore que ta vie soit courte, tu es destiné à une mort très-cruelle. Néanmoins, je ferai ce que tu désires. J'irai dans l'Olympe couvert de neige, pour parler à Jupiter, et je tâcherai de le persuader. Et toi, assis près de tes vaisseaux, garde ton ressentiment contre les Achéens, mais abstiens-toi de combattre. Jupiter, suivi de tous les Dieux, est descendu vers l'Océan. Il prendra part à un festin chez les Éthiopiens aux mœurs irréprochables. Dans douze jours il reviendra dans l'Olympe. Alors j'irai pour toi dans son palais aux bases d'airain, j'embrasserai ses genoux, et j'espère qu'il prendra ta défense. »

    

Thétis, en versant des larmes, lui répondit alors :

     — Hélas! ô mon enfant, pourquoi t'ai-je élevé et enfanté pour le malheur ? Tu aurais bien dû, sans pleurs et sans chagrin, rester auprès des nefs, puisque ta destinée est courte et de trop brève durée. Aujourd'hui, te voilà donc à la fois celui de tous les hommes qui doit mourir le plus tôt et le plus tristement. Tel est le sort malheureux pour lequel, dans mon palais, je t'ai mis au monde. Toutefois, pour exposer ta prière à Zeus lance-foudre, je me rendrai moi-même sur l'Olympe aux neiges abondantes, et je verrai si je serai écoutée. Pour toi, reste pour le moment auprès de tes vaisseaux au rapide trajet, persiste en ta colère contre les Achéens, mais arrête-toi tout à fait de combattre. Zeus, en effet, vers l'Océan, chez les Éthiopiens sans reproche, est parti hier partager un banquet, et tous les dieux ensemble Font accompagné. Dans douze jours, il reviendra sur l'Olympe. Et sans faute alors, j'irai dans le palais au seuil de bronze de Zeus, je lui prendrai les genoux, et j'espère parvenir à le persuader. »