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Dacier
( texte revue en 1882) |
Dugas Montbel (1822) |
Elle
n’eut pas plus tôt disparu, qu’Achille s‘emporta encore contre
Agamemnon, et lui dit les injures les plus atroces qui lui vinrent dans
la bouche.
«
Insensé, lui dit il, à qui les fumées du vin troublent la raison, qui
as l'impudence d'un chien dans les yeux, et la timidité d'un cerf dans
le cœur, tu n'as jamais eu le courage de prendre les armes pour paraître
à la tête de tes troupes un jour de combat, ni pour aller en embuscade
avec les plus vaillants des Grecs; car tu crois voir partout la mort à
tes trousses. Il vaut bien mieux courir par tout le camp, et ravir le
bien de ceux qui ont l'audace de te contredire. Roi qui te nourris du
sang de ton peuple, parce que tu commandes à des lâches... Car si tu
commandais à des hommes, fils d'Atrée, tu nous aurais outragés
aujourd'hui pour la dernière fois. Mais j'ai une chose te dire, et
je te la confirmerai par serment. Je te jure donc par ce sceptre, qui,
depuis qu'il a été séparé du tronc de l'arbre qui l'a produit sur
les montagnes, ne pousse plus de feuilles ni de rameaux, et ne reverdit
plus, depuis que le fer l'a dépouillé de ses feuilles et de son
écorce; je te jure, dis-je, par ce sceptre que portent présentement
dans les mains ceux des Grecs à qui Jupiter a confié les lois et la
justice (et c'est le plus grand serment que je puisse faire); un jour
viendra que les Grecs auront grand besoin d'Achille, et que tu ne
pourras les secourir, quelque douleur qui te dévore, lorsque tu les
verras tomber sous les coups de l'homicide Hector ; ce sera pour lors
que tu sentiras tes entrailles déchirées, et que tu auras de cuisants
remords de n'avoir pas mieux traité le plus vaillant des Grecs. »
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Alors
la déesse revole se mêler à l'assemblée des dieux, dans l'Olympe,
demeure du puissant Jupiter. Cependant Achille, toujours tourmenté par
la colère, adresse encore au fils d'Atrée ces paroles outrageantes :
«
Toi que l'ivresse égare, qui as à la fois les yeux d'un dogue et le cœur
d'une biche, jamais tu n'osas combattre à la tête des peuples, ni te
placer dans une embuscade
avec les chefs de l'armée ; ces périls
te semblent la mort. Sans doute, il est bien préférable de parcourir
le vaste camp des Grecs, et d'enlever sa récompense à celui qui ose te
contredire. Roi qui es le fléau du peuple, parce que tu commandes à
des lâches, tu m'auras outragé pour la dernière fois. Je le jure,
inviolable serment ! je jure par ce sceptre qui désormais ne poussera
ni rameaux ni feuillage, qui ne reverdira plus, depuis que, séparé du
tronc sur les montagnes, le fer l'a dépouillé de ses feuilles et de
son écorce ; par ce sceptre que portent aujourd'hui dans leurs mains
les fils des Grecs, chargés par Jupiter de maintenir les lois ; je
jure, et ce serment te sera funeste, que bientôt un grand désir de
retrouver Achille s'emparera de tous les Grecs, et toi, malgré ta
douleur, tu ne pourras les secourir, lorsqu'on foule ils tomberont
expirants sous les coups de l'homicide Hector. Alors, dans ta colère,
ton cœur sera déchiré pour avoir outragé le plus brave des Grecs. »
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Leconte de Lisle (1867) |
Bitaubé (1764) |
Et le Pèléide, débordant de colère,
interpella l'Atréide avec d'âpres paroles :
-Lourd de vin, œil de chien, cœur de cerf ! jamais tu n'as osé,
dans ton âme, t'armer pour le combat avec les hommes, ni tendre des
embuscades avec les princes des Akhaiens. Cela t'épouvanterait comme la
mort elle-même. Certes, il est beaucoup plus aisé, dans la vaste
armée Akhaienne, d'enlever la part de celui qui te contredit, Roi qui
manges ton peuple, parce que tu commandes à des hommes vils. S'il n’en
était pas ainsi, Atréide, cette insolence serait la dernière. Mais je
te le dis, et Je jure un grand serment : par ce sceptre qui ne produit
ni feuilles, ni rameaux, et qui ne reverdira plus, depuis qu'il a été
tranché du tronc sur les montagnes et que l'airain l'a dépouillé de
feuilles et d'écorce ; et par le sceptre que les fils des Akhaiens
portent aux mains quand ils jugent et gardent les lois au nom de Zeus,
je te le jure par un grand serment : certes, bientôt le regret
d'Akhilleus envahira tous les fils des Akhaiens, et tu gémiras de ne
pouvoir les défendre, quand ils tomberont en foule sous le tueur
d'hommes Hektôr ; et tu seras irrité et déchiré au fond de ton âme
d'avoir outragé le plus brave des Akhaiens.
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Achille
aussitôt, ne pouvant étouffer sa colère, adresse au fils d’Atrée
ces paroles outrageantes :
-O
toi dont l’ivresse trouble la raison , qui a l’œil impudent du
dogue, mais le cœur de la biche timide ; non tu n’eus jamais le
courage de t’armer avec les troupes pour le combat, ni de te placer en
embuscade avec les plus illustres chefs de l’armée ; tu
craindrais d’y trouver la mort. Il t’est sans doute plus facile de
dépouiller de sa récompense dans le vaste camp des Grecs celui qui ose
te contredire. Roi qui dévore tes peuples, si tu commandais à des
lâches, ce serait là ta dernière insolence. Mais je te déclare, et j’en
fais un serment terrible, je jure par ce sceptre, qui séparé de son
tronc sur les montagnes, dépouillé par le fer de son feuillage, ne
poussera plus de rameaux, et ne fleurira plus, mais que portent
maintenant dans leurs mains les juges de la Grèce, gardiens sacrés des
lois de Jupiter, serment terrible pour toi ; je jure qu’un jour
tous les Grecs désireront la présence d’Achille ; tu ne
pourras, quoique pénétré de douleur, les secourir quand ils tomberont
en foule expirans sous les coups du furieux Hector. Alors , livré à d’inutiles
remords, tu déchireras ton cœur, désespéré d’avoir couvert d’ignominie
le plus vaillant des Grecs. |
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Bignan
(1830) |
Barbier (1880) |
Mais
le fils de Pelée en ces mots pleins d'outrage
Laisse
éclater encor son Implacable rage :
«0
monarque enivré d'orgueil et de dédain,
Insolent
comme un dogue et lâche comme un daim
Vers
de secrets périls, aux champs de la vaillance
Jamais
de tes guerriers tu n'as guidé la lance;
Le
plus faible danger te semble le trépas,
Et
dans ce vaste camp, que tu ne défends pas,
Lorsqu'un
de tes rivaux blâme les injustices,
Tu
préfères voler le prix de ses services.
Roi
mangeur de ton peuple avili sous tes lois,
Tu
m'auras insulté pour la dernière fois.
Oui,
d'un serment fatal le nœud sacré m'engage :
Par
ce sceptre puissant, qui, privé de feuillage,
Sur
le mont paternel à son tronc arraché,
Ne
reverdira plus, à jamais desséché,
Et
que porte aujourd'hui dans sa main équitable
Des
lois de Jupiter le gardien respectable,
Je
jure que d'Achille, en combattant sans lui,
Tous
les Grecs expirants regretteront l'appui ;
Toi,
furieux de voir leur foule abandonnée
Sous
l'homicide Hector tomber exterminée,
Tu
te déchireras le sein dans ta douleur
Pour
avoir du plus brave outragé la valeur.» |
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Achille
cependant, encor tout furieux,
Se
répand contre Atride en cris injurieux :
«
Cœur de biche, œil de chien, dit-il, tu n'aimes guère
Te
mêler aux périls de la sanglante guerre :
Parmi
les chefs vaillants on ne t'aperçoit pas
Aux
postes dangereux... tu crains trop le trépas.
Ah
! dans le camp des Grecs c'est plus aisé, sans doute,
De
voler le butin d'un rival qu'on redoute.
Tu
dévores ton peuple... il est heureux pour toi
Qu’à
des hommes sans cœur tu commandes en roi,
Car
tu serais déjà puni de ton injure :
Mais
retiens ce serment : par mon sceptre je jure!
Sur
ce sceptre royal, de son tronc détaché,
Jamais
ne verdira le rameau desséché ;
L'airain
l’a dépouillé d'une écorce sauvage
Et
l’œil n'y verra plus de fleurs ni de feuillage :
C'est
là, pour tous les Grecs, entre les mains des Rois,
Le
symbole éclatant du pouvoir et des lois :
Par
lui je jure.... Un jour (désespoir inutile !)
Un
jour les Achéens regretteront Achille.
Toi-même
tu voudras en vain les secourir
Quand
sous les coups d'Hector tu les verras périr,
Et
ton cœur saignera d'avoir pu faire outrage
A
celui dont les Grecs honorent le courage.» |
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Rochefort (1766) |
Millevoye (1822) |
il
dit, remet
son glaive, & Pallas satisfaite
Va
rejoindre les Dieux au sein de leur retraite ;
Tandis
que déchaînant son indignation,
Achille,
par ces mots, outrage Agamemnon.
»
Roi, d'orgueil enivré, dont l'audace perfide
»
Joint aux yeux d'un lion le cœur d'un cerf timide.
»
Toi, qu'on ne vit jamais dans le champ des combats,
»
T'exposer avec nous & guider tes Soldats,
»
Lâche,
tu crains la mort, & le danger t'étonne ;
»
Ah !
sans doute, il vaut mieux, tranquille sur ton trône,
»
Nous
laissant, pour toi seul, voler à l'ennemi,
»
Dans
tes ressentimens dépouiller un ami.
»
Tyran,
qui te nourris du sang de tes esclaves,
»
Tu
vois leur lâcheté, sans crainte tu les braves ;
»Si
de l'honneur encor ils connoissoient les droits,
»
Tu
les aurois bravés pour la dernière fois.
»
Mais entends le serment que prononce ma bouche
»
Par
ce sceptre sacré, ce sceptre que je touche,
»
Que l'airain aiguisé, jadis dans les forêts
»
De sa tige féconde arracha pour jamais,
»
Et qui, dans cet état, privé de nourriture,
»
Ne reproduira plus ni rameaux, ni verdure,
»
Par ce Sceptre, aujourd'hui l'ornement de mes mains,
»
Je jure, et mes sermens ne deviendront pas vains,
»
Qu'un jour les Grecs, saisis d'un regret inutile,
»
Ecrasés par Hector, appelleront Achille ;
»
Sous tes yeux désolés, tu les verras périr,
»
En vain ton foible bras voudra les secourir ;
»
Déchiré de remords, tu pleureras l'outrage
»
Qu'au plus vaillant des Grecs fit ton orgueil sauvage. |
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Il
a parlé : son bras, terrible dans la guerre,
Replonge
au fourreau d'or le glaive furieux ;
Et
Pallas va fouler l'Olympe radieux.
Mais
il n'est point éteint le courroux d'Eacide !
Son
insultante voix gourmande encore Atride :
«
Mortel audacieux et timide à la fois !
Mortel
ivre d'orgueil ! Parle, où sont tes exploits ?
Déployant
tour à tour la valeur et l'adresse,
A
quelques grands combats as-tu guidé la Grèce ?
Non.
Dévorer son peuple et frustrer ses rivaux.
Voilà
du roi des rois les glorieux travaux !
Vous
qu'il ose opprimer, Grecs ! sans votre indolence
Ce
jour eût éclaire sa dernière insolence ;
Mais
j'en fais le serment formidable et sacré :
Je
jure par ce sceptre à jamais révéré,
Qui,
détaché du tronc frappé dans ses racines,
N'étendra
plus son ombre au sommet des collines,
Je
jure qu'il luira le jour, pour moi si doux,
Le
jour où mon repos vous accablera tous.
Hector
vous atteindra de ses terribles armes ;
Et
toi, pour les venger tu n'auras que tes larmes :
Alors,
seul au milieu des débris et des morts,
Et
le cœur déchiré de stériles remords,
Tu
te repentiras au sein de ta détresse
D'avoir
osé braver le soutien de la Grèce.
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Lagrandville
(1870) |
Meunier (1943) |
La
déesse remonte vers l'Olympe dans les demeures de
Jupiter, qui tient l'égide
parmi les autres dieux.
Le fils de Pelée, dont la colère
fermentait toujours dans le cœur, apostrophe
encore Agamemnon en ces termes outrageants : « Homme appesanti
par le vin, aux yeux de chien et au cœur de biche, qui n'eus jamais le
courage de présenter une bataille avec ton
armée, ni d'assiéger les places difficiles à prendre, juge un peu que
ce t'est une belle prouesse de ne quitter ta tente que pour ravir le
butin que les enfants de Mars ont conquis au péril de leur vie. Et tu
ne contrediras pas que si tu dévores tes peuples, c'est que tu règnes
sur les derniers des hommes, car autrement, Atride, ton insolence
t'aurait déjà coûté la vie. Je fais ce serment : Je jure par ce
sceptre, lequel séparé de son tronc qu'il a laissé sur la montagne,
et dénudé par le tranchant du fer, ne produira plus ni branches ni
feuilles ; je jure par ce sceptre que portent en leurs mains
les juges de la Grèce, gardiens des lois de Jupiter, et ce serment
te sera funeste, qu'un jour les Grecs regretteront Achille. Accablés
sous les coups d'Hector, tu ne pourras les en garantir, tu gémiras
dans ton cœur et tu te souviendras alors d'avoir outragé le plus
vaillant des Grecs. »
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La
déesse alors remonta vers l'Olympe, dans les demeures de Zeus porte-égide,
auprès des autres dieux. Quant au fils de Pelée, il interpella de
nouveau l’Atride en paroles brutales, et ne se départit point encore
de sa colère :
— Sac à vin, ô toi qui as un oeil de chien et un cœur de biche,
jamais tu n'as eu pour la guerre le courage de prendre la cuirasse en même
temps que tes troupes, ni d'aller avec les Achéens les plus braves te
poster aux aguets ; payer de ta personne te semble être la mort. Sans
doute, il est bien plus profitable, dans le vaste camp des Achéens, de
dépouiller de sa récompense celui qui ose te contredire. Tu es un roi
qui dévore le peuple, parce que tu règnes sur une troupe de lâches.
S'il en était autrement, Atride, tu commettrais aujourd'hui ta dernière
infamie. Mais je vais te le dire et te le confirmer par un grand
serment: « Par ce sceptre qui ne produira plus ni feuilles ni rejets,
depuis qu'il a laissé sur les montagnes le tronc d'où il fut détaché,
qui jamais ne reverdira plus, car le bronze a raclé son écorce et ses
feuilles, et qui maintenant passe aux mains des fils des Achéens,
lorsqu'ils font pour Zeus, en tant que justiciers, respecter les lois !
Par ce sceptre donc, le serment sera grand ! Oui, un jour viendra où le
regret d'Achille atteindra tous les fils ; des Achéens; si affligé que
tu sois, tu ne pourras en rien les secourir, lorsque tu les verras, par
centaines, tomber mourants sous les coups de l'homicide Hector. Et toi,
tu te déchireras en toi-même le cœur,
consterné de n'avoir pas honoré le plus vaillant des
Achéens ! »
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